Les entreprises de schiste américaines n’en ont rien à fraquer des rendements financiers, titrait au printemps The Economist. Le ton était donné. Il est vrai que globalement, depuis que cette industrie existe, elle a constamment produit des cash-flows libres négatifs, que le pétrole soit à plus de 100$ ou à 50$/b. Il n’y a rien d’alarmant à ce qu’une entreprise soit dans le négatif pendant des années, quand elle est en forte croissance et brûle le cash sans compter pour investir dans sa base productive. Ce fut le cas de nombreuses sociétés technologiques dans les années 1990. Mais une fois les bâtiments construits et les machines installées, ils servent de nombreuses années, les investissements diminuent proportionnellement au cash-flow opérationnel, et le cash-flow libre devient positif, ce qui permet de rémunérer les actionnaires.
Pour les pétroles de schiste, certains se demandent à quel cours du pétrole ce schéma peut fonctionner. Bien que les puits durent des années, les débits déclinent souvent de plus de 75% lors des deux premières années. Les compagnies doivent investir énormément, en permanence, pour assurer ne serait-ce que la stabilité de leur production (voir shaleprofile), ce qui explique la récurrence des cash-flows libres négatifs. Mais après une décennie de constantes injections en capital, les actionnaires s’impatientent, et les taux remontent lentement. Il ne faut pas oublier que la politique de taux d’intérêt des Etats-Unis fût un élément majeur du développement du pétrole de schiste, souvent dissimulé par la prouesse technologique. Le taux des fed funds est tombé quasiment de 5% à 0% lors de la crise financière de 2008 et est resté à ce plancher jusque fin 2015, permettant le financement aisé de l’industrie.
Cependant, tous les analystes ne sont pas pessimistes sur la rentabilité à long terme du secteur. Les queues de production déclinent moins vite. A mesure que les vieux puits forment une part plus grande du portefeuille des compagnies, il se pourrait que les investissements deviennent proportionnellement moins lourds. Wood-Mackenzie estime que le secteur aura un cash-flow libre positif d’ici 2020. A voir.
Mais si la venue du pétrole de schiste est vue comme une révolution, c’est qu’elle a des ramifications bien plus vastes que celles purement liées à une nouvelle branche de l’industrie pétrolière, aux banques qui la financent et à ses actionnaires. La révolution du schiste a des conséquences sur la politique intérieure et étrangère des États-Unis. Elle renforce la compétitivité internationale, stimule l’économie, crée des emplois, contribue à la balance des paiements, réduit la pression sur les budgets publics et affecte l’image que les Américains ont d’eux-mêmes ou que les autres ont des Américains, en démentant l’idée d’un déclin américain inéluctable. L’énergie du schiste, c’est aussi l’arme du pétrole qui change de mains. Pour certains (voir ici), il s’agit donc bien d’un “glissement tectonique dans la géopolitique de l’énergie”. Les Etats-Unis feront durer cet état le plus longtemps possible car, en attendant que la rentabilité soit démontrée, que sont les pertes d’une branche industrielle face à tous les avantages pour le pays ? N’injecte-t-on pas des sommes considérables dans l’Education, la Santé, la Défense, des secteurs dont les retours financiers attendus sont tous indirects ? Le pétrole de schiste est loin d’avoir les qualités économiques du pétrole de rente des gisements géants du Moyen-Orient, il ne nous replonge certainement pas dans une ère de pétrole facile. Mais d’autres pays pourraient y injecter des sommes considérables, non pour les bénéfices directs, pour l’instant inexistants, mais pour les avantages indirects.
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