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La carte blanche dans l’Echo.
Le pétrole est non-renouvelable à l’échelle humaine. Sa production est au départ nulle, puis augmente (c’est la phase que l’on vit depuis 150 ans), atteint un maximum appelé « pic pétrolier », enfin décline sous l’action de contraintes naturelles et humaines. C’est pourquoi on extraira du pétrole peut-être encore 150 ans, mais moins chaque année, et à des coûts croissants : il y a d’abord eu le pétrole conventionnel, puis les pétroles des sables bitumineux et de schiste, peut-être suivront les schistes bitumineux.
Le pétrole conventionnel a atteint son pic le premier, vers 2008. Il représentait alors 90% de la production mondiale. Par manque d’anticipation, le prix du baril flamba jusqu’à 150 $, crevant la bulle immobilière américaine et précipitant la crise financière. Une fois l’économie relancée, il remonta au-dessus de 100 $, grevant l’économie cinq ans de plus. Pendant ce temps, la conscientisation du monde politique avançait pas à pas : les trois régions votèrent une résolution “pic du pétrole”, le Parlement wallon créa un “comité pic du pétrole” et mena en 2013 une enquête publique sur le pic pétrolier et les implications pour la Wallonie. Entretemps, les politiques monétaires issues de la crise financière inondaient de capitaux l’industrie du pétrole de schiste américain. La production explosait, et en 2014, le prix du baril s’effondra, laissant croire à un retour durable des prix bas : les résolutions pic du pétrole furent oubliées, le comité du Parlement wallon fut dissous. Pourtant, le débit des puits de pétrole de schiste chute si vite – sans nouveaux forages, la production aux USA se réduirait de moitié en un an – que les investissements lourds sont récurrents, reportant sans cesse la rentabilité et obligeant à réinjecter des capitaux chaque année. Ainsi, le pétrole bon marché est une anomalie, mais qui aura duré suffisamment pour faire oublier le pic pétrolier.
A la veille de la pandémie, les perspectives d’offre pétrolière à l’horizon 2025 étaient préoccupantes : le conventionnel étant sur un plateau, pour équilibrer le marché, la production de pétrole de schiste US devait fortement augmenter – éventuellement doubler. Ensuite, elle allait plafonner avant d’entrer en déclin. Or, la chute de prix due au coronavirus fragilise davantage l’industrie du pétrole de schiste et réduit l’investissement nécessaire pour freiner le déclin du conventionnel. Face au futur déclin combiné des pétroles conventionnel et de schiste, la capacité à déployer d’autres pétroles dans les temps, aux volumes requis, et à coût raisonnable est incertaine ; le risque de pic pétrolier resurgit.
Les solutions pour faire face au pic pétrolier sont celles pour le climat : substitution, efficience, sobriété. Mais au contraire des actions climatiques qui traînent au gré des compromis, le pic pétrolier risque de provoquer une marche forcée vers le sevrage, avec des prix volatils et des tensions géopolitiques croissantes. C’est pourquoi nous recommandons quatre mesures :
- Améliorer la connaissance du pic pétrolier par l’Etat et le public, afin que tout un chacun évalue les effets sur sa vie et prenne ses dispositions.
- Intégrer le pic pétrolier dans les politiques énergétiques. En Europe, le charbon doit être abandonné pour le climat, les gisements de gaz s’épuisent, et certains pays sortent du nucléaire au moment où se profile le déclin mondial du pétrole. Pourra-t-on gérer ces déclins combinés ?
- Se préparer à l’éventualité d’une croissance économique nulle ou négative sur de longues périodes. En 2004-2008, il a suffi que la production pétrolière stagne 4 ans pour que le baril s’envole à 150 $ et que la croissance économique européenne s’arrête. Vu le couplage fort PIB/consommation de pétrole, les efforts de réduction de consommation à faire chaque année pendant des décennies pourraient freiner durablement la croissance.
- Agir aujourd’hui et avec des marges de manœuvres plutôt que demain sous la contrainte.
Les plans massifs déployés aujourd’hui pour sauver entreprises et emplois impactés par le coronavirus seront probablement à nouveau nécessaires demain pour affronter le pic pétrolier. Les états en seront-ils encore capables ? Evitons donc de gaspiller l’argent public dans des secteurs pétro-dépendants, en exigeant des engagements pour réduire la dépendance pétrolière, tels que la relocalisation. Pérennisons les dynamiques positives précipitées par la crise sanitaire, tels que le télétravail et l’achat d’aliments locaux. Et investissons massivement pour réduire la consommation de pétrole, comme isoler les bâtiments et décarboner les transports. Vu le poids du pétrole dans le mix énergétique européen – un tiers –, les choix doivent être dictés par l’ampleur des quantités d’énergie en jeu: l’impact doit être massif pour espérer gérer le déclin pétrolier.
Ne gaspillons pas l’opportunité d’enseignement créée par le coronavirus, et évitons de redémarrer sur des bases pétro-dépendantes, au risque de voir succéder à la crise sanitaire la crise pétrolière.
P. Brocorens, Chimiste à l’UMONS, Président d’ASPO Belgique
M. Lebrun, ex-Ministre wallon et Président du comité pic de pétrole au parlement wallon
J. Laherrère, Président d’ASPO France, ex-Directeur des techniques d’exploration de Total
P.-R. Bauquis, Géologue, Professeur TPA, ex-Directeur stratégie de Total
Y. Mathieu, Géologue, Expert réserves mondiales d’hydrocarbures, IFP jusque 2010.
O. Rech, Consultant, Economiste à l’IFP (2000-2006), AIE (2007-2009)
J. Ropers, Président de GEP-AFTP (aujourd’hui Evolen) en 2010-2015
P. Cornet, Maître de conférence à l’ULiège, ex-Directeur exploration à Petrofina
M. R. Smith, CEO Globalshift Ltd., ex-Directeur exploration de Sun Oil
F. Tournier, Géologue exploration de Neptune Energy
P. Labat, Consultant et Producteur pétrolier indépendant
J. Verdier, ex-Directeur général de Technip
J.-B. Godinot, Fonctionnaire, initiateur de la carte blanche
C. Campbell, Géologue, ex-Vice-président exécutif de Fina Norvège
R. Miller, Consultant pétrolier, ex-Géologue BP, Administrateur d’ODAC
R. Bentley, Petroleum Analysis Centre
Cette carte blanche fait suite à des publications similaires, l’une soumise à France Stratégie par Maxence Cordiez, l’autre publiée par l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, IRIS.
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